Dans un contexte concurrentiel, les industries cherchent à la fois à gagner en efficacité et en flexibilité et à réduire leurs coûts et délais. Depuis quelques années, les entreprises se sont engagées dans un processus de digitalisation afin de faciliter les échanges (réseau numérique incluant les partenaires et les sous-traitants), de collecter et traiter des données diverses tout en simplifiant leur accessibilité (informations sur des produits, leurs différentes phases de vie comme leur fabrication). L’environnement numérique des procédés de fabrication conventionnels (ex : usinage) a mis plusieurs dizaines d’années pour atteindre un ensemble cohérent et performant. À ce jour, la chaîne numérique autour des procédés plus jeunes (par exemple l’impression 3D, appelée aussi fabrication additive) n’est pas arrivée à maturité et est un frein à leur déploiement dans les entreprises. L’un des enjeux est donc de développer rapidement une chaîne numérique pour la fabrication additive afin de répondre aux contraintes actuelles des entreprises et préparer l’usine du futur.
Limites dans la chaîne numérique actuelle
Il y a une dizaine d’années, la fabrication additive était réservée à la réalisation de prototypes et de maquettes de visualisation. Aujourd’hui, elle est utilisée pour fabriquer des pièces fonctionnelles, plastiques ou métalliques. Or la chaîne numérique actuelle, qui pouvait être suffisante pour la réalisation de pièces non fonctionnelles, ne peut pas supporter un procédé mature de fabrication de pièces industrielles.
Le passage du modèle CAO (Conception Assistée par Ordinateur) à l’imprimante 3D se réalise par le biais d’un fichier dit « STL » (STereo-Lithography). Ce dernier contient uniquement des informations relatives à la géométrie de la pièce sous forme de maillages. Les autres informations disponibles au sein du modèle CAO sont perdues lors de cette phase de conversion, tout comme les données autour des matériaux, des spécifications dimensionnelles, etc. De plus, des erreurs au niveau du modèle de fichier STL peuvent apparaître et nécessitent une opération (souvent chronophage) de réparation du fichier via un logiciel différent de celui utilisé pour la conception. Un nouveau fichier est alors créé par un logiciel dédié à la machine de fabrication lors de la génération automatique des supports de fabrication, des trajectoires machines, etc.
Ainsi, le cheminement de la chaîne numérique actuelle est représenté par un flux descendant (des fichiers successifs avec une conservation partielle des informations) ayant pour conséquence une réexécution de toute la chaîne numérique lors d’un changement sur la géométrie. Une multiplicité des fichiers créés et une dépendance à plusieurs logiciels remet en question l’interopérabilité des données numériques.
Pour finir, les simulations numériques des procédés additifs ne sont pas aussi performantes que pour les procédés plus conventionnels (comme l’usinage) et ne peuvent pas être mises en place aussi facilement.
De nombreux progrès dans la chaîne numérique
Beaucoup d’acteurs ont pris consience de la nécessité d’améliorer cette chaîne numérique pour rendre les procédés de fabrication additive plus performants, et pour que leur environnement numérique ne soit plus un frein à leur développement par rapport aux autres procédés. Une chaîne industrielle numérique plus globale et la fabrication additive pourront offrir aux entreprises un nouveau modèle d’organisation de la production, multi-produits et multi-sites (personnalisation des produits avec une production non centralisée).
Différents axes sont développés dans le but d’obtenir une chaîne numérique robuste, tels que la création d’outils d’aide à la décision pour la modélisation, la simulation et la préparation de la fabrication.
Consolider la chaîne numérique par des outils spécifiques à la conception des pièces
La fabrication additive permet une grande liberté de conception. Elle offre à tout un chacun la possibilité de produire des pièces présentant des formes complexes et intégrant de nombreuses fonctions. Ce type de procédé, également appelé ‘’impression 3D’’, élimine de nombreuses contraintes de conception et de fabrication en comparaison à des procédés de fabrication plus classiques.
Concevoir des objets destinés à être fabriqués par cette nouvelle famille de procédés exige un changement de paradigme et un renouvellement des connaissances fondamentales autour de la conception. La prise en compte des contraintes de ce procédé (pour maximiser la fabricabilité de la pièce) et des opportunités associées (pour maximiser les performances de la pièce) sont les deux problématiques principales de la conception pour la fabrication additive. Afin de les intégrer, le concepteur peut s’appuyer sur des outils numériques d’optimisation topologique comme de génération de structures lattices : deux thématiques traitées au sein des projets de R&D de l’IRT SystemX.
Outils numériques d’optimisation topologique
De nombreux outils d’optimisations sont disponibles pour permettre aux concepteurs de proposer le plus efficacement possible une solution cohérente répondant aux exigences d’un cahier des charges. L’optimisation topologique est adaptée à la fabrication additive car elle remet en cause la topologie de la pièce et permet ainsi de bénéficier d’un potentiel d’optimisation plus élevé. Néanmoins, la plupart des logiciels sur les marchés ne prennent pas en compte les contraintes de fabrication de ces procédés. Le projet TOP (Topology Optimization Platform) de l’IRT SystemX développe de nouvelles méthodes et technologies d’optimisation tenant compte des contraintes de fabrication, et assurant ainsi la fabricabilité des solutions proposées.
Outils de génération de structures lattices
Les structures lattices apportent aux concepteurs un fort potentiel par leur possibilité d’allègement de la pièce finale mais également grâce à l’optimisation des performances mécaniques et thermiques. Cependant, le processus d’élaboration introduit des dispersions dans la géométrie des cellules lattices élémentaires, susceptibles d’altérer la durabilité des pièces en service. Afin de lever ce verrou technologique, l’IRT SystemX a lancé le projet DSL (Durabilité des Structures Lattices) avec l’objectif d’évaluer l’amplitude de ces dispersions et leurs impacts. Ces travaux ont pour ambition d’accélérer l’utilisation des structures lattices, en développant des règles et outils numériques à destination des concepteurs permettant de contrôler les caractéristiques mécaniques et leurs incertitudes dans différentes configurations.
Ainsi, pour tirer le meilleur parti de la technologie tout en proposant un bon compromis technico-économique, il est nécessaire d’imposer certaines règles de conception et de s’appuyer sur des outils numériques afin de vérifier la pertinence de la solution. La fabrication additive permet de combiner la liberté et les méthodes d’optimisation de la conception, ouvrant de nouveaux horizons en matière de complexité de pièce.
Consolider la chaîne numérique par des outils spécifiques à la simulation des procédés
Les industriels font de plus en plus appel à la simulation numérique des procédés pour optimiser leurs phases de développement, réduire leurs coûts et améliorer la qualité de leurs produits. L’exploitation d’outils prédictifs pour mieux piloter le procédé et fournir une aide à la fabrication de nouveaux composants s’avère être une étape indispensable. Il est par conséquent nécessaire d’assurer aux industriels une bonne compréhension des phénomènes physiques mis en jeu pour garantir la qualité des pièces produites. Pour les procédés métalliques sur lit de poudre (SLM, Selective Laser Melting) ou par projection de poudre métalliques (LMD, Laser Metal Deposition), différentes échelles de simulations sont possibles : échelle des particules de poudre (microscopique), échelle du lit de poudre (mesoscopique) et échelle de la pièce(macroscopique).
Le projet CDF (Conception des Directives de Fabrication) de l’IRT SystemX se concentre sur une simulation de la génération cordons de matière du procédé LMD (donc mesoscopique) et de leurs empilements pour former la pièce finale (échelle macroscopique). Ce procédé souffre d’un manque d’outils de simulation et de programmation des machines. Le développement de briques logicielles au sein du projet CDF permettra une meilleure diffusion industrielle de ce procédé.
De nombreux autres sujets sont traités au sein du projet CDF comme la prédiction du temps de fabrication, les zones d’accumulation ou de manque de matière, l’optimisation des trajectoires selon plusieurs critères ou encore la détection des zones à risque de collision au fur et à mesure de la fabrication. Les algorithmes et briques logicielles développés et validés par l’équipe du projet permettront de valider en amont les instructions de fabrication par la simulation du processus de fabrication (gain de temps, de matière, etc.) mais également de capitaliser les relations entre les paramètres du procédé et la qualité des pièces produites dans le but de sélectionner les meilleures stratégies de conception (capitalisation des connaissances).
Consolider la chaîne numérique par la capitalisation des connaîssances
Les industriels utilisant la fabrication additive savent que la gestion de données est un point critique pour garantir la qualité comme la répétabilité des pièces. Ils cherchent à gérer au mieux ces informations pour en comprendre leurs impacts : notamment la relation matériau-procédé-pièce qui est cruciale. En effet, le matériau n’est, à l’origine, qu’une poudre qui subit des transformations chimiques, thermiques et mécaniques en fonction de son procédé de fabrication et des post-traitements.
Une continuité numérique permet de capitaliser facilement les données (de la phase de conception à la phase de contrôle, en passant par la fabrication), mais impose une grande rigueur pour les traiter, les analyser et en tirer profit par un gain de connaissances. Les données à conserver représentent alors l’intégralité des informations du processus : du lot de poudre, de fabrication, des finitions et des traitements thermiques. C’est en corrélant toutes ces données avec la performance finale de la pièce et l’identification de ses défauts qu’une amélioration de la connaissance sera possible.
Cette corrélation des données nécessite de suivre plusieurs étapes :
- Une collecte de données exhaustives qui permettra d’obtenir la fiabilité des procédés additifs.
- Un traitement de ces données par des moyens numériques efficaces pour les réaliser de manière rapide et précise.
- Des propositions de solutions innovantes par des moyens d’intelligence artificielle en fonction des résultats des traitements des données.
- Une gestion des propositions émises par l’intelligence artificielle pour les rendre compatibles avec les objectifs de l’utilisateur et les mémoriser pour assurer la résilience de la démarche et des solutions.
Pour conclure, malgré la faible intégration de la fabrication additive au sein d’une chaîne numérique globale, dûe à un changement d’utilisation des procédés additifs (du prototypage rapide à la réalisation de pièces fonctionnelles), de nombreux acteurs industriels, académiques, éditeurs de logiciel ou issus d’instituts de recherche technologique investissent ce sujet afin de répondre aux nouvelles attentes. L’un des plus grands défis à relever est la définition d’une chaîne numérique cohérente et viable dans le temps. De nombreux autres sujets sont étudiés en amont avec l’utilisation d’outils de rétro-conception (ex : scanner 3D) ou en aval avec des outils de contrôle (ex : tomographie à rayon X). Le recours à des outils de simulation, aujourd’hui non matures, s’avère indispensable pour permettre le développement du procédé dans les prochaines années et assurer sa sécurité : Comment assurer le transfert sécuriser des fichiers ? Comment valider et vérifier les pièces imprimées en 3D ? La technologie blockchain peut être une piste intéressante pour garantir la traçabilité, la qualification et la certification des produits.
Nicolas Ferrier
Nicolas Ferrier est ingénieur mécanique diplômé en 2017 de l’Université de Technologie Belfort-Montbéliard (UTBM). Il travaille sur les thèmes de la fabrication additive et de la simulation numérique. Il s’est découvert un goût pour ces deux disciplines au fur et à mesure de sa formation : projets universitaires, stage de fin d’étude (Schneider Electric), mais aussi à travers des rencontres : enseignants-chercheurs du LERMPS et partenaires du projet CDF (Conception des Directives de Fabrication) de l’IRT SystemX.
Merci pour cet article intéressant.
Il faut noter qu’il reste beaucoup de chemin pour cette technologie pour devenir mature.