Le numérique soutenable doit garantir un accès étendu et sans contraintes des services et données à l’ensemble des utilisateurs. Cette diffusion croissante est certes émancipatrice, mais représente un coût environnemental conséquent. Comment en maîtriser l’impact tout en en maximisant les bénéfices ?

L’adoption croissante des outils numériques façonne l’économie et la société dans son ensemble. Elle ouvre la voie au progrès et à l’innovation en faveur du bien-être humain. Cependant, certaines de ses externalités doivent être maitrisées. A titre d’exemple, le secteur du numérique représente 8 à 10 % de la consommation électrique en Europe, et jusqu’à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces émissions et cette consommation électrique sont d’autant plus préoccupantes que la tendance est à la forte augmentation des usages. Les prévisions de croissance du secteur sont de l’ordre de 8 % par an (rapport Cigref). D’après le dernier rapport du GIEC (publié le 28 février 2022), les effets de la crise climatique sont d’ores et déjà ressentis partout dans le monde (accès limité aux ressources en eau et en nourriture, plus grande mortalité et développement de nouvelles maladies, etc.). Un développement responsable et résilient s’impose donc aujourd’hui, et le secteur du numérique n’y échappe pas. Le cadre réglementaire évolue d’ailleurs en ce sens [cf. Loi du 8 novembre 2019, sur l’énergie et le climat et pour la neutralité carbone à horizon 2050, Loi française du 20 février 2020 sur l’anti-gaspillage, le recyclage des pièces détachées et l’obligation d’information sur la consommation des services numériques].

Cet article propose une synthèse des enjeux environnementaux de la transformation numérique. Après un rappel de l’empreinte environnementale du secteur du numérique, nous présentons une synthèse des quelques programmes existants visant à réduire cette empreinte. Nous proposons dans une dernière partie un aperçu des grands verrous mentionnés dans la littérature et collectés durant différents ateliers organisés par l’IRT SystemX autour du numérique responsable.

 

Un usage effréné des services et des équipements

Si les outils numériques ont un rôle à jouer dans la transition écologique, l’intensification des usages soulève plusieurs questions quant aux impacts environnementaux et sociaux associés. En effet, l’augmentation massive des services numériques fait exploser les volumes de données créées, échangées et stockées. La Commission Européenne prévoit une augmentation de 530 % du volume mondial de données à horizon de 2025 par rapport à 2018. Cette augmentation s’accompagne d’investissements importants dans les infrastructures, les équipements, les réseaux et centres de données qui sont responsables d’une consommation énergétique non négligeable, et donc d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de plus en plus importantes. Par ailleurs, il est important de rappeler que les émissions de GES représentent un indicateur environnemental parmi d’autres. Sur ces sujets, il est indispensable d’adopter une vision multicritère lors de l’évaluation des impacts générés couvrant l’épuisement des ressources naturelles, la production de déchets, la qualité des écosystèmes, la toxicité humaine. D’après le rapport publié en janvier 2022 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), les équipements (écrans et téléviseurs) seraient responsables de 65 à 90 % des impacts environnementaux, où l’épuisement des ressources énergétiques fossiles, et abiotiques (métaux et minéraux), l’empreinte carbone et les radiations ionisantes sont les plus prédominants. Enfin, la phase de fabrication est la source majeure des impacts, avec notamment 78 % de l’empreinte carbone. (Communiqué de presse – Environnement (19 janvier 2022) (arcep.fr)

 

Plusieurs mesures mais aucun référentiel commun

Afin de mesurer et d’évaluer l’impact du numérique, plusieurs initiatives ont été entamées notamment par l’ADEME, le ShiftProject, l’Institut National de l’Economie Circulaire (INEC), l’Institut du Numérique Responsable (INR) ou encore GreenIT. Toutes se heurtent à la complexité du système numérique et à la modélisation des processus qu’il sous-tend sur l’ensemble des phases de son cycle de vie. Cela s’explique en partie par le manque de données, leur accessibilité et leur qualité. La multitude et la diversité des acteurs et des parties prenantes sont également des facteurs jouant sur la complexité de la démarche en plus des processus organisationnels.

La figure ci-après retrace le cycle de vie d’un service numérique ; nous pouvons en distinguer clairement les phases de production et apprécier la complexité qu’il y aurait à insérer à chaque étape des mesures pour réduire l’impact environnemental du produit final.

Cycle de vie d’un Service Numérique,
Source : https://www.eco-conception.fr/static/eco-conception-de-service-numerique.html

En raison de la diversité des acteurs, la virtualisation et la décentralisation des plateformes de déploiement, la multitude des usagers cibles, le volume croissant des données personnelles et de leurs traitements, le coût des transferts de données et des réseaux à hauts débits, les étapes ne sont pas forcément interdépendantes. Par exemple, le facteur usage est déterminant et peut influencer le profil énergétique d‘un service, même si ce dernier est éco-conçu en termes de complexité algorithmique et d’empreinte mémoire. De même des phases de maintenance inadaptées peuvent remettre en question un profil numérique éco-responsable et initialement peu gourmand en ressources.

Enfin, se pose également la question de la portée géographique d’une telle évaluation d’impact. Quid des calculs qui sont réalisés sur des Clouds virtuels distants dans d’autres pays, sur des machines alimentées par des sources d’énergie non identifiées et des données transférées en flux tendu entre les équipements et les personnes ? Comment délimiter le système d’intérêt ?

Aujourd’hui, malgré la multiplication des initiatives gouvernementales et européennes, il n’existe pas encore de référentiel commun dédié à l’évaluation de l’impact environnemental et social du numérique. Les méthodes d’Analyse de Cycle de Vie sont encore peu appliquées de manière holistique et se focalisent souvent sur une partie du système (e.g. usages des équipements numérique, centre de données).

Cet article n’a pas vocation à être exhaustif sur les initiatives autour du numérique soutenable, ni à en redéfinir les paradigmes. Plusieurs travaux fondateurs réalisés par l’ADEME, l’ARCEP, et l’INR, nous serviront de socle pour bâtir notre approche systémique.

 

Des ateliers partenaires et des problématiques communes

L’institut de recherche technologique (IRT) SystemX est spécialisé dans les domaines du numérique et des systèmes complexes. Cette double compétence permet un accès privilégié aux acteurs structurants de l’industrie française de tous secteurs, ainsi qu’une proximité importante avec les institutions académiques et scientifiques. Les projets de R&D opérés par l’institut ont pour vocation de soutenir la recherche et l’innovation auprès de ces acteurs. Sur le sujet de l’impact environnemental du numérique, des ateliers de réflexion ont réuni des entreprises de services numériques, des opérateurs de mobilité, des énergéticiens, et des opérateurs de télécommunication. Pour tous, le numérique constitue un élément central de leurs activités actuelles et à venir.

Les acteurs réunis ont manifesté une connaissance précise des initiatives déjà entreprises et une volonté de co-construire et d’adopter une solution efficace qui leur permettrait de répondre aux besoins suivants :

  • Poser un diagnostic systémique du bilan environnemental sur l’ensemble de leurs actifs numériques en matière d’usage de ressources, de GES.
  • Adopter une trajectoire numérique à faible empreinte environnementale et soutenable en appliquant des plans d’optimisation de la consommation énergétique de leurs systèmes et de ceux déployés chez leurs clients.
  • Evaluer la performance environnementale perçue grâce aux systèmes numériques.
  • Pouvoir comparer des organisations numériques différentes et faire un choix éclairé sur la base de métriques transparentes.
  • Sensibiliser les personnes (collaborateurs/clients) à l’impact de leurs usages numériques.

Nous avons réalisé une esquisse des parties prenantes impliquées dans l’ensemble du système numérique afin de proposer à chacune une approche adaptée pour évaluer les impacts et proposer des actions efficaces pour les réduire. Ainsi, nous avons pu tracer des cas d’usage à plusieurs niveaux d’abstraction (figure ci-après) :

Environnement et cas d’usage d’un système d’évaluation de la sobriété numérique

En rapport avec leurs secteurs d’activité, les intervenants aux ateliers ont évoqué les domaines applicatifs spécifiques suivants :

  • Les actifs numériques d’une organisation (matériel + logiciel + cloud + usages).
  • La mobilité connectée (impacts environnementaux et sur le report de modalité).
  • Les villes et les territoires connectés.
  • L’impact énergétique de la couverture 5G.

En conclusion, il y a un réel besoin d’une approche systémique outillée (ACV, éco-conception, métriques multi-niveau, indicateurs de circularité), basée sur une méthodologie normalisée, commune, et intelligible, qui soit facilement adoptable et duplicable. Il est également essentiel d’intégrer des métriques transparentes et pertinentes (GES, volumétrie des données, profils énergétiques, usage réseau, taux de recyclabilité, etc.).

 

Conscients de la complexité du sujet et de la nécessité d’apporter une réponse complémentaire aux démarches existantes, l’IRT SystemX et CentraleSupélec s’associent pour lancer l’alliance CircularIT, dont l’objectif est d’articuler des compétences d’éco-conception, des approches d’analyse de cycle de vie et de circularité avec des compétences numériques et d’architecture système. L’ambition est de dimensionner les activités de cette alliance sur une base territoriale et industrielle concrète.

 

Références :