Les approches de conception centrées sur les usages aident à innover sur des produits et services, en intégrant les attentes et problèmes des usagers au travers d’une scénarisation de cas d’usage. Dans ce cadre, cinq activités clés structurent l’approche du concepteur : la collecte de données d’usage, l’analyse des données, la génération d’idées pour de nouveaux produits et services, la construction de prototypes et la communication auprès des parties prenantes.
Dans cet article, nous nous intéressons à la génération d’idées ou l’idéation, étape créative dont dépend fortement le succès de la conception innovante. Nous présentons trois outils utilisés à l’IRT SystemX pour d’accompagner les équipes de recherche dans la scénarisation de nouveaux cas d’usage : la Roue de Margolis, le modèle de Persona et le Customer Journey Map.

Conception centrée sur les usages et idéation

Les approches de conception centrées sur les usages (ou les usagers) mettent l’humain au centre de la conception de produits et services (Giacomin, 2015). Lors du développement de projets à caractère technologique, elles permettent de formaliser des scénarios d’usage à fort potentiel de création de valeur, qui peuvent être efficacement mis en évidence par cette famille d’approches.

La phase de génération d’idées, également appelée « idéation », est au cœur des approches de conception centrées sur les usages et sur l’humain. Si le brainstorming reste l’un des outils les plus connus lors de cette phase il en existe bien d’autres, pouvant être avantageusement mobilisés par des équipes. La plateforme web The Design Exchange recense bon nombre de ces outils. Créée par des praticiens de la conception, elle intègre des cas d’études réels qui illustrent l’utilisation des méthodes. Cinq catégories d’activités structurent la présentation des méthodes de conception centrées usager :

Catégories d’activités décrites sur la plateforme The Design Exchange

 

La plateforme Designwithpeople présente également un ensemble de méthodes permettant à des concepteurs d’engager une démarche créative selon trois modalités d’interactions avec les personnes :

  • design for people, où le concepteur sollicite l’expertise d’usage de la personne,
  • design with people, où les personnes deviennent des participants actifs dans le processus de conception au côté des concepteurs,
  • design by people, où les concepteurs aident les personnes à être des acteurs de la conception.

Trois exemples d’outils sont illustrés ci-dessous : la roue de Margolis, le Customer Journey Map et les personas. Ces outils permettent de générer collectivement des scénarios d’usage, c’est-à-dire de projeter des nouvelles technologies dans des contextes d’usages multiples en tenant compte de la vision des utilisateurs finaux.

Caractérisation des modalités d’interaction pour trois outils d’idéation centrés sur les usages

 

Identification collective de situations d’usage : la roue de Margolis

La roue de Margolis est un outil d’animation mobilisé dans les démarches participatives, lorsqu’il est nécessaire de partager rapidement des sujets d’intérêt au sein d’une communauté ou d’un groupe, par exemple lors d’un montage de projet de R&D. Grâce au principe de transcription des idées par celui qui écoute (et non celui qui propose), une co-construction des problématiques est garantie au sein du groupe. En effet, chaque participant endosse successivement un rôle d’écoute et d’expression face à des questions qui rythment le sens de la rotation de la roue. Au fur et à mesure que la roue tourne, chaque participant se met face à un autre en étant soit à son écoute, soit en s’exprimant pour répondre à la question posée en un temps limité à trois minutes. Le choix des questions, particulièrement important, oriente les discours dans le sens d’une expression des pain points.

À l’issue des trois tours, les participants contribuent activement à la transcription des problématiques qu’on leur a confiées sur des notes de couleurs. Puis chaque personne est invitée à en expliquer le contenu, qui est alors partagé avec l’ensemble du groupe. La dernière phase collective consiste en un regroupement des idées en grandes thématiques, sous la forme d’un diagramme d’affinité (ou affinity map).

Partage de problématiques de mobilité à l’aide de la Roue de Margolis

En conclusion, la roue de Margolis permet un brassage large et rapide des ressentis des participants sur un sujet donné, ainsi qu’une forme d’empathie et de co-création des enjeux car la restitution s’opère par celui qui écoute.

Témoignages d’utilisateurs :

« J’ai trouvé cette activité ludique et utile à la fois pour lancer le groupe (se mettre à l’aise, donner un rythme) et pour dégager des problématiques. Les questions sont évidemment clés pour que cette activité soit réussie, dans ce cas [..] ça a permis de générer des idées variées et pertinentes, qui introduisaient bien la suite. », Sabine Tréfond, SNCF, Experte en transport et mobilité urbaine

« La première phase m’a permis d’avoir des avis réels sur différents types d’expériences vécues liées aux transports. Malheureusement les personnes avec lesquelles j’ai discuté n’étaient pas familières des transports en commun. J’ai trouvé que le fait d’inverser les rôles (que celui qui écoute retranscrit l’expérience) permet de bien retenir les expériences partagées. », Edouard Emberger, SpirOps, Expert en Intelligence Artificielle

Génération d’expériences usagers archetypaux : le customer journey map et les personas

Customer journey map

Issu des approches de User Experience Design, le Customer Journey Mapping est un processus de description des expériences vécues par des clients (ou usagers) d’un ou plusieurs services (HM Government, 2007). Le but est de mieux comprendre ce qui conditionne les comportements et attitudes des personnes, afin de mieux concevoir les produits et services en adoptant le point de vue des usagers.

Cette approche peut être associée à une observation discrète des usagers sur le terrain, dite de shadowing (Giacomin, 2015 – Daae and Boks, 2015), permettant de caractériser plus précisément les parcours de clients-types.

Dans le domaine de la mobilité, un Customer Journey Map est une représentation graphique qui permet de construire le voyage d’un usager d’un point de départ à un point de destination et qui trace les diverses interactions que celui-ci peut avoir ainsi que les obstacles rencontrés. Les obstacles peuvent être des accidents de parcours, des éléments du contexte et permettent l’expression d’un « Pain Point ». Ces derniers sont résolus plus tard au cours du projet par des propositions techniques.

« Cette phase est celle qui m’a le plus aidé. Elle m’a permis de voir les visions des autres participants concernant les fonctionnalités d’une future application de navigation. Nous nous sommes basés sur la Journey Map de la personne à mobilité réduite pour définir le premier POC (Proof of concept) de l’application. », Edouard Emberger, SpirOps, Expert en Intelligence Artificielle

Devant la diversité des expériences possibles en fonction des profils des usagers, il est utile de pouvoir construire des Journey Maps pour plusieurs usagers-type, en exploitant le modèle de persona.

Personas

Un persona est un modèle d’usager fictif, qui est de plus représentatif d’une classe d’usagers, et dont l’utilité au cours d’un processus de conception en équipe a été démontrée (Cooper, 1999). Courante en design industriel, l’utilisation des personas permet notamment au concepteur de s’abstraire de sa propre expérience d’usage, de mieux cibler les problématiques de groupes d’utilisateurs-cibles, et enfin de concevoir des solutions de produits ou services en cohérence avec les modes de vie attachés aux personas.

La construction des modèles de personas peut s’effectuer de manière purement qualitative, en précisant divers attributs : homme, femme ou enfant, âge, profession, lieu et mode de vie, style de consommation, valeurs-clés, etc.

A titre d’exemple, nous illustrons ci-dessous quatre profils et personas adaptés à la recherche de solutions de « mobilité digitale pour tous » d’après (Keolis, 2016) :

  • mobilité dans la sérénité (Thierry, retraité),
  • mobilité agile (Léa, étudiante),
  • mobilité immersive (Kate et Tim, touristes),
  • mobilité humanisée (Marion, en fauteuil roulant, et Clara, en charge d’un jeune enfant en poussette).

Quatre personas pour la mobilité digitale, d’après [Keolis, 2016]
Le modèle de persona a été mis en œuvre lors d’un atelier sur la définition d’informations pour les voyageurs. L’utilisation des personas avait pour objectif de faire éprouver aux participants une empathie avec le voyageur, pour pouvoir exprimer les difficultés et satisfactions éprouvées. Cela a permis de faire émerger plusieurs cas d’usage en fin d’atelier.

 

Au-delà des méthodes et outils

Il existe de multiples méthodologies centrées sur les usages destinés à une meilleure formulation des besoins et à l’émergence de solutions innovantes. Les outils décrits permettent de générer collectivement des scénarios d’usage porteurs de valeur pour les futurs usagers.

S’il est clair que la réussite d’un atelier d’idéation tient à une bonne connaissance des outils à déployer, d’autres facteurs doivent être réunis. Face au grand nombre d’outils d’idéation, il est d’abord essentiel de savoir sélectionner les outils élémentaires les plus adaptés aux besoins de l’atelier. Pour l’animateur, veiller à une articulation pertinente des différents outils permettra plus de fluidité dans la construction des idées. L’animateur doit également gérer le temps et montrer sa capacité d’écoute pour amener les participants à s’exprimer sans émettre de jugement ni influencer leur propos.

Enfin la phase de préparation en amont de l’atelier d’idéation est essentielle. Des réunions régulières avec les parties prenantes du projet permettent une meilleure compréhension des enjeux ainsi que la composition des profils des futurs participants (profils techniques, managers, etc.). Lors de cette phase préparatoire, les animateurs peuvent collecter des éléments pouvant stimuler ou inspirer la réflexion des participants au cours des ateliers (par exemple verbatim d’usagers, profils de personas existants, publications sur des réseaux sociaux, etc).

 

Références

Cooper, A. (1999). The inmates are running the asylum. Indianapolis, IA: SAMS/Macmillan, 1999.

Daae J., Boks C (2015).   A classification of user research methods for design for sustainable behaviour, Journal of Cleaner Production, Vol. 106, 680-689

Giacomin, J.(2015). What Is Human Centred Design?The Design Journal,Vol. 17:4,606-623,DOI

HM Government (2007). Customer Journey Mapping – Guide for Practitioners. [Online]

Keolis (2016). Enquête Keoscopie. Un regard éclairé sur la mobilité. [Online]