Le chantier de la transformation numérique des transports pourrait sembler clôt, il n’a atteint qu’une phase intermédiaire. Cette étape aura vu émerger un ensemble de mutations technologiques qui ont concrètement marqué le secteur. Les autorités organisatrices de la mobilité doivent maintenant s’appuyer sur de nouveaux outils, notamment d’aide à la décision, leur permettant de créer les conditions d’une mutation efficace des pratiques.
Un premier chapitre de digitalisation structurelle
Durant les quinze dernières années, les territoires auront assimilé une série de mutations liées à l’essor des technologies numériques au sein des secteurs mobilité et logistique : calculs d’itinéraires multimodaux, émergence d’opérateurs tiers, création d’offres en libre-service, intégration des services dans les smartphones, crowdsourcing, billettique interopérable, essor du e-commerce et des livraisons à domicile.
Localement, nombre d’évolutions sont subies, telles que la réduction de la demande (et des recettes) suite aux épisodes sanitaires et au développement du télétravail, ou la plateformisation des services. La multiplicité des offres et des opérateurs privés a contribué à sensibiliser les usagers et accroître leur niveau d’exigence sur l’information, la tarification et globalement la notion de qualité de service.
Les collectivités ont historiquement mis en œuvre un ensemble de stratégies d’aménagement du territoire qui tendent à complexifier les schémas de mobilité. Ainsi l’étalement urbain contribue à diffuser la demande, alors que les articulations entre modes individuels et collectifs ont souvent été négligées, et que les modèles contractuels en vigueur sont difficilement synchronisables avec les évolutions du marché. De même la résilience des infrastructures ne peut être négligée face à la dynamique des services numériques.
Le contexte est néanmoins encourageant et stimulant pour relever de nouveaux défis. Les agendas politiques devraient s’aligner avec la montée d’une conscience collective appelant à des pratiques plus éco-responsables. L’évolution du mix énergétique pour les mobilités se concrétise pendant que l’écosystème s’étend autour d’acteurs et de propositions de valeur alternatives. Articulé autour de briques technologiques numériques, l’ensemble de ces contributions doit pouvoir être coordonné et projeté pour transformer le secteur et notamment les usages.
Une nouvelle transformation numérique opérationnelle
Les mobilités et la logistique sont les composantes d’une économie de marché. Elles sont qualifiées en termes de niveau de service, de coût, mais aussi au regard de leur taux de pénétration et de leur contribution environnementale.
Les challenges auxquels font face les territoires sur ce champ croisent plusieurs objectifs et moyens. La décarbonation est le défi sociétal transverse qui servira d’étalon pour définir les objectifs et mesurer les progressions. Cette notion doit être quantifiée, pondérée et d’une certaine façon instrumentée pour supporter l’analyse des trajectoires. Les capacités d’observation des systèmes de mobilité doivent être étendus pour approfondir leur étude, consolider une vision réellement multimodale des pratiques et intégrer la logistique.
L’optimisation est une démarche de rationalisation qui contribue à la sobriété. Pour engager plutôt que contraindre -par exemple dans la réduction de la part modale des véhicules individuels- il faut pouvoir identifier des potentialités, et les exploiter. Massifier les flux de personnes et de biens est un enjeu considérable, notamment à infrastructure constante. Les alternatives aux pratiques actuelles doivent être crédibles, aussi bien fonctionnellement qu’économiquement.
Enfin, la digitalisation représente un ensemble de moyens permettant d’augmenter les capacités, mais aussi d’engager plus largement autour d’une même démarche les opérateurs, fournisseurs, usagers et clients. Ce potentiel d’agrégation est combiné à une capacité de ciblage. Différencier les pratiques et les usagers doit permettre de mettre en œuvre des stratégies mieux adaptées aux effets de leviers plus importants. De plus, certaines perspectives méritent d’être remises en lumière, ainsi le déploiement commercial des véhicules individuels connectés ouvre un champ de valorisation très prometteur.
Après une phase de foisonnement d’usages, de technologies, et la consolidation d’un secteur, le second temps de la digitalisation devra être celui de la stratégie. Les collectivités et l’État devront engager opérateurs, fournisseurs de services et citoyens autour de démarches claires, objectivées et mesurables. Ce temps d’action permettra d’aligner enjeux collectifs et perspectives individuelles. En ce sens le MaaS (Mobility as a Service) vise à optimiser l’interconnexion des services et constitue une brique de la démarche. Pour tirer parti de ce potentiel technique il faut l’adosser à des capacités d’analyse et d’aide à la décision qui incarnent l’étendue des systèmes de mobilité et de logistiques actuels.
Des outils d’aide à la décision et des verrous technologiques
La digitalisation des mobilités a imposé un contexte plus protéiforme, plus intriqué et plus complexe, au sein duquel les collectivités doivent ajuster leurs modalités d’intervention. Embrasser cette complexité sans la minorer et éclairer chaque étape des processus de pilotage contribueront à valider la cohérence et l’acceptabilité des futures orientations politiques.
Ces objectifs représentent une série de missions territoriales dont la mise en œuvre courante doit être dépassée pour répondre aux enjeux de décarbonation, d’optimisation de l’existant et de maîtrise des coûts. Il existe cependant une corrélation entre ces actions et un ensemble de verrous scientifiques et techniques, qui font l’objet de travaux au sein de l’IRT SystemX :
- Étendre la connaissance des pratiques de logistique et de mobilité passera par l’intégration de données d’exploitation et/ou de véhicules connectés. Ces contenus sensibles -au titre de l’activité économique ou du RGPD- ne pourront être hébergés et anonymisés que dans des environnements de confiance qui permettront aux producteurs privés de dégager une valeur ajoutée suite à leur contribution.
- Explorer des scénarios aux variables multiples, évaluer différents paramètres pour comprendre le champ des possibles et identifier les trajectoires souhaitables requiert des outils de modélisation avancés. Ces outils sont parfois opérationnels pour la recherche, ils devront être démocratisés pour supporter des usages industriels.
- La planification des infrastructures et des services de mobilité doit être abordée à des échelles qui dépassent souvent celle de l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM) en charge. Décarbonées, les mobilités requièrent aussi une orchestration avec les réseaux d’alimentation en énergies. Les plateformes de simulation devront être augmentées pour supporter les approches multi-échelles.
- L’évolution des pratiques à grande échelle passera par la conduite du changement en complément de dispositifs réglementaires ou coercitifs. Le ciblage des usages et la mise en œuvre de stratégies d’incitation susceptibles de générer des effets de levier importants permettront aux collectivités d’animer l’écosystème de la mobilité dans sa transition.
- La multiplicité des phénomènes aux évolutions rapides impose de réformer les protocoles d’évaluation. L’obsolescence des pratiques et des données est accélérée, de même que certains épiphénomènes présentent des impacts marqués. L’approche dite de « jumeau numérique » simule les composants des systèmes mobilité et logistique, en ayant notamment pour objet de retranscrire leurs dynamiques.
Dans un contexte multi-partenarial étendu et face au défi d’une décarbonation qui sera aussi décentralisée, le rôle de stratège et d’animateur des territoires est renforcé. L’essor des solutions numériques ouvre un spectre de possibilités et multiplie les scénarios. Face à cette complexité le développement d’une vision quantifiée, pilotable et ajustable requiert pour l’écosystème de la mobilité et de la logistique de nouveaux outils numériques. L’ampleur des enjeux impose un cadre d’innovation collaboratif au sein duquel les collectivités ont un rôle important à jouer.
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Yann Briand
Yann Briand est référent de la thématique Mobilités & Logistique au sein de l’IRT SystemX. Diplômé de Sciences Po Paris et des Mines d’Alès il est intervenu pendant plus de 10 ans dans des missions de conseil en innovation sur les champs des transports et de l’urbanisme. Il a contribué au montage et au management de nombreux projets de R&D collaboratifs au niveau national et européen avant de rejoindre l’institut en 2017.