Le 6 novembre 2017, j’assiste à la soutenance de la 4è thèse portée par le projet Modélisation – Interopérabilité – Coopération (MIC) de l’IRT SystemX. C’est toujours un bon moment. Il nous fait dérouler le film des événements de cette aventure du thésard au docteur. Pour mon esprit enjoué, c’est aussi l’occasion de se re-questionner sur le développement d’une formation scientifique (i.e. la thèse) au sein d’un projet plus vaste, multipartenaires et multidisciplinaires qui aspirent à transférer des résultats innovants vers des applications d’usage ou de marché. Les quelques lignes ci-dessous développent en tout humilité quelques pensées personnelles vues sous le prisme du pilotage du projet lors de ces 4 dernières années.

Ma thèse en 3D

Avant la réalisation du projet à SystemX, j’avais en tête un cliché de la thèse un peu romantique voire médiéval, de l’étudiant, seul avec une craie faisant face au tableau noir. Non loin de lui, son encadrement académique, le guidant vers la lumière (prophétique ?), en distribuant de temps à autres quelques bons coups de règles. Bref, la vision d’un thésard, disciple d’un laboratoire, d’une communauté scientifique.
La thèse à SystemX, tout en se reposant sur les fondamentaux, démultiplie les dimensions. Du fait de la présence de plusieurs académiques au sein d’un même projet, le thésard SystemX est en général amené à évoluer avec plusieurs communautés scientifiques. Il est aussi en constante relation avec un ou plusieurs industriels. Enfin, son travail est objectivé par le rythme et les livrables attendus du projet. Le thésard évolue dans un environnement à la fois plus dense et plus complexe. Risque ou opportunité ? Pour essayer d’y répondre, essayons de suivre un peu le fil conducteur de l’innovation. Du qualitatif au quantitatif.

L’anti-thèse

Ou comment de grandes innovations sortent du garage ? De nombreuses histoires fascinantes relatent des innovations faites à partir de rien ou très peu. Peut-être juste une craie et un tableau noir. Les Apple, Dyson et consorts sont autant d’exemples. Tiens donc, ils sont quand même assez souvent anglo-saxons. Problèmes de passage à l’échelle ou de financement dites-vous ? Allez Soyons chauvins, citons quand même OVH qui mériterait de devenir le O des GAFAO.
N’oublions toutefois pas que souvent les histoires heureuses prennent du temps, même dans les garages. Certaines innovations évidentes (maintenant) nous apparaissent d’ailleurs bien tardives. Le cas de la valise à roulette est une bonne illustration.
Alors de ces exemples, retenons qu’approches agile et user-centric peuvent inspirer la recherche. Mais comment faire cohabiter la prise de recul nécessaire, le temps de la réflexion scientifique et l’objectif de produire pour le collectif de façon continue ?

Le coup du châpeau

Le maintien de l’équilibre entre la réflexion et la production est une quête permanente. Pour un projet à moyen terme, il repose souvent sur plusieurs actions à court terme. L’application de la méthode des 6 chapeaux peut s’avérer utile. Pour Edward de Bono son créateur, le secret est de séquencer notre pensée : nous pouvons alors nous concentrer sur une chose à la fois et nous empêchons la censure automatique d’éliminer d’emblée des idées qui nous déconcertent : la « pensée latérale » est née.

Les six chapeaux de Bono

L’épreuve de la thèse fait appel à toute la collection des chapeaux. Dans le contexte du projet collaboratif, il me semble utile de faire bénéficier au thésard un environnement déjà organisé. En ce sens, il semble plus aisé d’enclencher les travaux de thèse une fois le projet déjà lancé. Aussi, la thèse est une formation longue durant laquelle peuvent alterner moments d’optimismes et de pessimisme. La co-localisation des équipes à SystemX peut servir d’émulation pour passer les moments de moins bien. Enfin, en donnant sa place au bon moment, avec la bonne intensité, à l’émotion, l’information, la logique et la critique, on peut souvent générer de la créativité.

Autant en emporte Moore

Attardons-nous un peu sur le côté quantitatif. Voici un article récent qui apporte un éclairage intéressant.
De façon synthétique, y est développée la position que les idées innovantes nécessitent plus d’effort à trouver. Le graphe ci-dessous s’en veut l’illustration en exprimant le fait que la part de productivité associé à l’innovation se maintient difficilement alors que le nombre de chercheurs augmente : en doublant tous les 2 ans à l’instar de la loi de Moore. C’est un peu comme le forage d’un puits de pétrole : les premières nappes sont plutôt faciles à récolter, mais cela devient plus difficile à mesure qu’on creuse profond ou loin.

D’un point de vue scientifique, on peut concevoir que repousser les frontières des connaissances nécessitent d’acquérir beaucoup plus de champs d’expertise, et que conséquemment les études sont plus longues et les équipes de recherche sont plus grandes avec la présence de spécialistes. Et tout ceci à un coût (qui grandit). Ah et oui, c’est vrai, rappelons-nous, les anglo-saxons sont plutôt bons à trouver des financements.

Les projets SystemX permettent cette mise en relation de compétences en co-localisant des équipes multi-disciplinaires et en y intégrant notamment des chercheurs et thésards. En bonus, le cofinancement facilite le financement de l’innovation. Alors oui pour cela, l’environnement SystemX est une réelle opportunité pour réaliser une thèse de qualité.

La Saint thèse

Qualitativement, l’innovation peut survenir de l’impulsion ad-hoc d’un nombre restreint d’individus qui savent à la fois prendre du recul et se confronter à l’expérimentation. Quantitativement, il se trouve que pour innover significativement, il faut pouvoir impliquer de plus en plus de spécialistes. Alors, pour nos projets collaboratifs au format SystemX, je paraphrase bien volontiers la formulation de Kant : « La thèse sans projet d’application est inutile, le projet d’application sans la thèse est aveugle ».

Pour tous nos thésards qui sont devenus docteurs, il faut aussi penser à l’après-thèse. Ce n’est pas chose facile de se remobiliser après être devenu un hyper-spécialiste d’un sujet pendant trois ans. Bonne suite à eux !